X

Le siphon

 

 

 

π Les deux jours de repos nous ont fait un bien fou. Alme en a profité pour nous masser, pour nous soigner, pour fermer les plaies de chair et d’âme. Elle était de celles qui ont lutté contre la traversée directe de cette flaque. Mais elle s’est rangée à la majorité. Et elle accomplit sa tâche avec un dévouement et un amour pour nos corps qui forcent l’estime. Golgoth l’a toujours trouvée « mollasse ». Moi je la trouve magnifique : elle s’adapte à chacun, elle prend le temps qu’il faut pour ceux qui peinent. Il n’y a pas de pleurnicheurs dans une Horde, jamais. Ceux qui se plaignent ont une raison, toujours. Une Horde qui s’effondre, ça tient à un membre ou deux mal soutenus. Une Horde ne survit pas par son Fer. Le Fer n’est qu’un soc de charrue : il ouvre la terre. Ceux qui sauvent la Horde sont derrière moi, dans le Pack : c’est notre fleuron Steppe par exemple, d’une énergie intarissable depuis un mois. Sans lui, nous n’aurions guère pu contrer décemment ce bourbier. Il devine la consistance des sols, la fermeté de la terre uniquement par les plantes et les arbres émergés. C’est Silamphre qui, avec Oroshi, a réglé et huilé les éoliennes qui surmontent les flotteurs. Les essais sont concluants : quand nous nageons, le vent actionne l’éolienne qui est couplée par une courroie à une hélice, sous le flotteur. Le flotteur remonte ainsi la houle. Tout seul ! Ça soulage l’effort de traction du harnais. Et au cas où la corde se détacherait, c’est une garantie que le flotteur ne dérivera pas aval. C’est Callirhoé aussi qui nous sort des feux dans des conditions impossibles d’humidité et de pluie battante. Après trente ans ensemble, j’arrive encore à être surpris par les compétences de certains. La plus impressionnante à mes yeux demeure Oroshi. Je découvre son savoir strate après strate sans jamais approcher le fond. Elle sait lire les vagues avec une finesse… Il suffit de la regarder nager… À la forme, à l’amplitude et à l’orientation de la houle, elle a déduit l’emplacement de la plupart des îlots qui nous attendaient en amont. Talweg n’a souvent fait que confirmer, lui qui est pourtant géomaître. La nappe d’ondes et de réverbérations qu’elle décrypte dans un volume d’eau frise de toute façon le génie. Si Silamphre a une forme d’oreille absolue, comment baptiser sa compétence à elle ? Sensibilité absolue ?

Le moral est remonté en flèche. Je retrouve dans les regards la hargne des jours de furvent, ce sentiment de défiance et de fierté. J’ai pris soin de vérifier le contenu de tous les barils. Nous avons des vivres pour un mois.

Catastrophes mises à part, chacun de nous sait pertinemment que la traversée se joue là. Soit nous tenons le coup, tous ensemble, et nous passerons. Soit on s’effondre et le pire est à craindre.

 

 J’ai jamais voulu venir ici. Devant nous, il y a la mer (appelez ça « zone centrale » ou « grand lac » si ça chante mieux à vos oreilles) mais quand on se tient comme ici sur la plage, face à l’horizon vide, avec les vagues qui déferlent en rouleaux, des creux de deux mètres qui grimperont à trois ou quatre si le vent forcit et que Pietro vient vous taper sur l’épaule avec sa combinaison noire impeccable et sa carrure d’athlète, son air pénétré qui vous lâche : « On va passer, tu verras ! », je sens comme un décalage… Que lui passe, c’est possible ; que Golgoth touche l’autre berge debout, avec l’ami Firost, un Talweg et un Steppe, avec Sov sûrement, je veux bien miser ma cage volante dessus… Mais qu’on ne me fasse pas croire que la petite Aoi, que Calli qui n’est pas plus épaisse que sa corde ou que Sveziest qui a appris à nager en mettant le pied dans cette flaque, vont s’en sortir. Ça non.

Pour ma pomme, c’est du cinquante-cinquante. J’ai demandé la plus grosse éolienne sur mon flotteur, dans l’espoir de me reposer, pour me faire tracter au cas où… Le Goth a pas aimé : « Triche pas, Larcon ! On se fait pas remorquer par des machines, on contre avec le corps ! Code d’honneur ! » Quand tu vois qu’Erg (d’un coup de parapente), il a traversé cette mer en une demi-journée… Cinquante milles, il a évalué. Je suis sûr qu’il minimise, le macaque. (Je n’aime pas me sentir isolé au milieu de l’eau, sans une île ou une berge quelque part, à portée de crampe.) Quand je pense qu’il pourrait nous soulever un par un et nous déposer de l’autre côté ! (Je n’aime pas trop quand il y a des algues dessous, qui bougent, et du fond.) Code d’honneur, mon cul ! Tout ça parce qu’ils se disent (tout bas) qu’on pourrait rencontrer la septième forme du vent au beau milieu de l’océan ?! Superstition de crétins, matraquée par l’Hordre quand ils avaient huit ans ! Et ils la gobent encore ! Ils se la répètent comme à la messe ! « On n’a que six formes, six… » Et alors ? Noblesse de caste à la con ! La septième forme, hein ? Pourquoi pas la huitième en passant et la neuvième pour la nuit ? (Les méduses, si tu n’ouvres pas les yeux au bon moment, tu ne les vois pas arriver sur toi…)

— Bon, rassemblez-vous face à moi, les brasse-bouillon !

 

‹› Golgoth avait enfilé sa combinaison, dont il avait coupé les manches au niveau du coude. Au couteau, il s’était rasé les cheveux, les touffes se battaient sur son crâne massif. Il semblait, bien plus que nous, en solide forme, infiniment plus que moi. Il s’accroupit dans l’eau face à la plage sur laquelle, profitant des derniers instants secs, nous serrions nos harnais et nous passions des flasques d’huile pour les ranger dans nos flotteurs. Il se mit à parler. L’avantage, en un sens, de sa voix, était qu’il n’était pas besoin de l’écouter pour l’entendre. Je n’aimais pas Golgoth, aucune fille ne l’aimait, ni son absence d’égard ni ses manières brutales, mais j’étais réceptive à la certitude intime qu’il dégageait, totale. Cette espèce de granit. Avec lui, nous en oublions presque que nous allions mourir, les dangers les plus flagrants semblaient vite douteux et flous, l’avenir ne pouvait qu’exister avec nous, nous tous. La mort de Karst, je crois qu’elle avait glissé sur lui. Il avait été touché, j’en étais presque sûre, mais il n’avait rien changé ou remis en question. Je ne sais pas d’où il tirait cela, cette force, cette écorce hermétique au tronc, je ne l’avais jamais vu plier, ni fragile. Oroshi, en connivence, me sourit avec malice dès qu’il commença :

— Là, devant vous, plein est, je vais pas vous englaumer : c’est la zone centrale ! Ça veut dire pas un îlot sur près de cent bornes, la houle pleine gueule, bien réglo, le tronc à l’horizontale et on tabasse ! L’objectif, c’est d’enquiller six séries d’une heure chaque jour avec des pauses entre, calé sur son flotteur. En fin d’après-midi, si le fond n’est pas à perpète, on plante les poteaux de bambous dans la vase, on dresse la plate-forme à l’équerre, au-dessus de la flotte, on bouffe et on dort. Ça a rien de sorcier ! Faut éviter la gamberge, c’est tout ! Vous oubliez les contes tordus de Carac et les calembredaines des Fréoles, vous rangez vos couilles dans vos calbuts et vos pieds dans vos palmes en roseaux, vous faites tourner votre moignon autour de votre épaule quelques bons milliers de fois d’avant en arrière, et dans quinze putains de jours, on rigolera d’avoir chié dans nos bainards sur cette plage ! Et ancrez ça : y a jamais eu de hordes mieux préparées que nous qui ait osé tremper son museau dans cette grande cuvette de chiotte ! On a une plate-forme, on a des flotteurs à hélice, une combinaison de nage plus chaude qu’une loutre en chaleur et de la graille pour six mois ! On nagera en double vague latérale, groupés. Moi devant, Firost et Talweg derrière, on cadre les nageurs de gauche. À droite, Pietro devant, Steppe et Léarch derrière, vont border l’autre vague. Deux triangles, hein ! Barbak et Horst, nos deux grandes carcasses, vont se coltiner les bambous. Ça va Horst ?

— Ça roule…

— Les solives de la plate-forme seront remorquées à tour de rôle par le Pack. Braillez pas, Silamphre a mis des hélices dessous, ça avance tout seul ! Voilà. J’abrège. Vous êtes prêts à en chier ?

— Qu’est-ce qu’on fait si on a une crampe ?

— T’appelle le maître nageur ! Tu beugles !

— Et si quelqu’un n’arrive plus à suivre ?

— Je le tracterai moi-même avec ma longe.

 

) Golgoth tint parole. Les trois premiers jours, il tracta Aoi dans la sixième série de la journée tandis qu’Erg remorquait Callirhoé, victime de crampes dès la cinquième, de sorte qu’elle ne nageait plus qu’avec les bras et sa jambe encore valide. Nous étions maintenant rôdés au crawl à travers houle, au rythme des creux et des crêtes, rompus à attaquer sur l’arrière de la vague pour profiter de la pente avant la vague suivante, tout en soulageant la corde pour ne pas subir l’à-coup du flotteur s’enfonçant. On nagea donc. Un premier jour… Deux journées… Trois jours… Nous progressions les oreilles ouatées d’eau, sous une sensation insistante de solitude, d’isolement paradoxal malgré l’écume parfois d’un pied agité devant soi ou d’un bras pas trop loin sur la gauche, la tête plongée dans un paysage troublé de vase, d’algues longues et d’aplats rares de sable, où j’ouvrais de moins en moins les yeux parce que j’avais peur, nager sans penser, nager les muscles fluides une heure ou deux puis se gorgeant lentement de plomb, avec l’épaule droite qui grinçait vers le soir, qui se grippait en rotation. Et les haltes, le court quart d’heure où l’on respirait ensemble entre les séries, où l’on essayait de briser le sarcophage d’eau, de dire quelque chose d’autre que « j’ai froid, mon harnais glisse, j’en peux plus, mon hélice tourne mal… » Ces haltes, parfois davantage que nager, nous fatiguaient tant il s’avérait difficile de se relaxer sur ce flotteur oblong sans être bousculé par le clapot, si bien qu’on finissait tous par faire la planche en attendant le signal, par Golgoth, de repartir. De temps à autre, je me laissais couler au fond pour trouver un sol, me tenir cinq secondes à la verticale et sentir mon sang circuler de bas en haut.

En apesanteur, tout repère dilué, roc ou berge, nous flottions, nous flottions en pleine flaque, avec de l’eau amont, des kilomètres cubes d’eau devant nous sur une distance qui ne se mesurait plus que dans une unité qui s’appelait le courage, de l’eau entre nous et la berge aval, laquelle s’éloignait chaque jour davantage, chaque jour rendait notre choix plus irrémédiable, de l’eau au sud et au nord, de l’eau d’infiltration et de source, de l’eau de pluie, de l’eau à noyer un désert et ses hordes – et aucun point de butée sur l’horizon, rien pour guider ou fixer, hormis la vague qui arrivait sur nous, et la vague d’après cette vague, indifférente et mécanique, montante et descendante, montante et descendante, à tel point que nous nagions dans une couche de somnolence liquide, à la limite souple du songe, jamais tout à fait éveillés, nous avancions cependant, crête après crête, creux par creux, ballottés comme bouchons, solubles dans la fatigue, avec ces poissons à bras et à jambes ondulant tout autour, comme un rappel, ces camarades de vagues, ma seule île, épousant l’eau de gré, souvent de force, la bouche salée et le nez bouché, ma seule île mobile, ces vingt-deux corps en mouvement – la Horde, nous.

La folie n’est plus folle, dès qu’elle est collective. Je crois que j’aurais pu faire n’importe quoi, le plus absurde, tant que nous le ferions ensemble ; ensemble, je sentais la puissance de chacun, physique et mentale, j’avais confiance en nous, et j’éprouvais cette profondeur du lien qui nous cousait à même la vague. Ensemble, les vingt ridicules mètres carrés de peau blanche que nous occupions sur la surface immense de cette flaque délimitaient une poche de résistance, d’un grain hermétique à la dilution générale…

— Sov ! Sov arrête-toi ! C’est Pietro qui m’a agrippé la jambe pour me stopper. Tous les autres sont à plat ventre sur leur flotteur, le visage tendu, oreilles aux aguets.

— Silamphre a entendu quelque chose. Un bruit d’écoulement, une sorte de torrent lointain. Ou autre chose…

— Et Aoi a senti comme un courant sur sa droite.

— Une eau un peu plus froide, mais je ne suis pas certaine…

— Caracole aussi est inquiet.

— Qu’est-ce que tu sens Carac, exactement ?

— Un peu le même type d’ondes circulaires que pour la tour Fontaine, ami. Mais en beaucoup plus insistant… Pour l’instant, ça me paraît assez loin, mais je n’aime pas éprouver ça à nouveau…

— On peut faire la pause de midi ici, prendre des forces…

— Ou continuer à nager pour s’éloigner…

— Silamphre, tu entends toujours ton bruit ?

— La tête sous l’eau, oui. Il est à notre droite par rapport à l’axe de contre. Donc plein sud.

— Je l’entends aussi.

— Oroshi ?

— La houle est très légèrement déformée sur la droite, torsadée. Regardez la base des creux.

Je regarde, mais honnêtement, je ne vois absolument rien.

— Quelqu’un a une idée de ce que ça pourrait être, ou vouloir dire ? demande Pietro.

— J’ai une idée. Mais si c’est ça…

— Si c’est ça quoi ?

— On y passera tous.

 

π Le fauconnier est épuisé, il dit n’importe quoi. Je n’ai pas quitté des yeux Oroshi. Elle a demandé à Talweg de tenir sa corde pendant qu’elle se chargeait de lest pour aller au fond. À vue de nez, il y a trois mètres, pas plus. Je la vois s’asseoir sur le sable du fond et tendre les bras à l’horizontale. Elle se place d’abord face au sud. Puis se tourne face au nord. Dans la même position. Elle veut manifestement juger des courants. Elle remonte :

— Alors ?

— Alors Aoi a raison. Il y a un courant. Il induit une dérive sud.

— Je crois qu’il vaut mieux qu’on continue à nager pour s’éloigner de la zone, non ? Golgoth ?

— Yak ! On se refout en position ! Erg, tu couvres le flanc droit au cas où. On calte. Si quelque chose tourne pas rond, vous gueulez ! Et nagez vos feuilles de chou hors de l’eau, autant que possible !

 

) On nagea peut-être une demi-heure, fébriles, à presque se toucher tellement on crawlait près les uns des autres. Effet de psychose ou pas, je sentais un courant, effectivement, et un son aussi, un son des profondeurs, que j’aurais été incapable de qualifier, mais qui ne s’éloignait pas. Qui persistait. C’est Talweg qui nous arrêta cette fois-ci. Il tenait au-dessus de l’eau l’un de ses instruments complexes qui relevait de la boussole, du rotor à fluide et du sextant. Après un silence grave, il fut catégorique :

— On a dévié. On nage maintenant carrément sud…

— Tu te fous de notre gueule ? rugit Golgoth. J’ai maintenu le cap en houle faciale, droit devant ! Recta ! Regarde les vagues, bordel ! On est droit !

— On est droit par rapport à la houle… Mais on nage vers le sud ! Plus du tout vers l’est !

— Qu’est-ce que tu veux dire, par le Vent Diable ?

Talweg baissa à nouveau les yeux sur son appareil et engloutit un juron. Ce fut Oroshi qui prit sur elle d’expliquer :

— Il veut dire que la houle elle-même a été déviée. Nous sommes en train de nager sur une trajectoire en spirale. Quelque chose est en train de déformer localement la ligne de houle. Quelque chose de suffisamment puissant pour changer la direction des vagues. Je propose qu’Arval place une ancre-repère, avec assez de corde pour que le gonfalon se voit de loin au-dessus de l’eau. On va nager dix minutes face à la houle et on fait le point.

— Pourquoi face à la houle, c’est plein sud merde !

— Ça risque de devenir sud-ouest rapidement, Firost. Si ce que je pense est juste, on va…

— On écoute Oroshi ! Arval, fixe l’ancre ! Nage groupée, en delta !

 

 

‹› Lorsqu’on repartit, le gonfalon flottait dans notre dos. Dix minutes de brasse plus tard, il est… à portée de boo, à notre gauche ! La peur est à présent sensible dans le timbre fêlé des voix. Les vagues qui nous entourent se sont désenflées. Le courant ne peut plus être nié par quiconque, et il est fort, il enlace nos cuisses. Callirhoé s’est soudée à moi, elle me tient le bras, toute notre horde fait un cercle avec ses flotteurs, dans un réflexe de fusion animale, l’urgence pulse, elle grandit, on s’en remet inconsciemment aux chefs, Golgoth et Pietro, Erg, on regarde Oroshi qui réfléchit les bras croisés sur son baril, elle relève la tête et vient gentiment se placer à côté de nous, elle nous rassure avec ses mots à elle, cette confiance qu’elle émane et son intelligence qui ne la trahit pas, que j’envie.

 

) À la faveur d’une plage de silence, j’ai pu entendre avec netteté ce bruit continu que Silamphre a détecté depuis une heure déjà. Ça ressemble clairement à l’écoulement d’une rivière – sauf que je ne vois pas par quel miracle une rivière pourrait couler au milieu d’un lac ! La dérive s’est accentuée, nous la compensons au mieux, en battant des pieds, les mains dans les poignées du flotteur mais le courant forcit, tandis que le son monte et précise sa menace… Golgoth :

— On va essayer de planter la plate-forme et de la clouer dans le fond ! Deux personnes par poteau ! Arval, tu creuses à la base des poteaux pour qu’ils ne ripent pas ! Erg va fixer les poutres transversales ! Les autres, vous lui passez les poutres, vous tenez les poteaux droits et vous contrez la dérive !

À peine eût-on le temps de dresser les quatre poteaux hors de l’eau et de définir un carré approximatif… Les bambous furent couchés par le courant et rattrapés de justesse… Nous nous sentions de plus en plus partir, glisser sur la nappe lisse du lac, le corps tiré en arrière sans pouvoir s’agripper à quoi que ce fut et nous ne voulions pas comprendre ce qui se passait… Jusqu’à ce que Silamphre, à l’oreille, trouve. Et déclenche en nous la plus viscérale panique :

— Nous… On est aspirés par un siphon !

 

π Au même instant, je me retourne dans la direction du bruit. Et je le vois apparaître pour la première fois. L’eau tout autour est poncée par le courant – un miroir. Au centre… Au centre, il y a un trou – un puits circulaire dont le diamètre se dilate avec lenteur, comme une bouche s’ouvre. À vue de nez, nous sommes à cent mètres du siphon. Guère plus. Le vacarme de la cascade efface totalement le clapot et il faudrait crier pour se faire entendre. Mais personne ne crie. Nous savions que ça existait. Nous le savions. Mais nous n’avons pas cru que ça puisse nous arriver ici. Ici en pleine flaque – ici précisément. Là où les chances qu’on y survive sont proches du néant. J’ai nagé gorge ouverte, en buvant l’eau par le nez, au milieu d’une volée de pieds et de bras, frappé, poussant les autres, coulant, cœur explosé, à la limite de la noyade, jusqu’à ce que la voix de Golgoth, encore et encore, perce le tunnel d’affolement et débouche :

— En appui ! En appui, la horde ! Bloquez-vous avec les poteaux. Mettez les perches en appui dans la vase. Faites face bordel ! Montrez vos burnes !

 

) À cinq mètres en aval de moi, Arval a réagi aussitôt. Il saisit à deux mains un poteau de bambou et, se servant de la vitesse du courant, pareil à un chevalier dans une joute, il se laisse dériver dix mètres et l’enfiche, oblique, dans le bouclier du fond sableux. Et il s’arc-boute dessus – ça tient. Sans réfléchir, je me laisse glisser jusqu’à lui et m’agglutine, Oroshi nous rejoint. Plus loin, Golgoth a agrégé une autre grappe sur sa perche, précaire, de quatre. Puis plus loin encore Steppe et Talweg et Pietro, trois autres grappes, en déséquilibre, oscillantes. Je compte : dix-huit. Qui manque ?

 

π Erg survole en zigzag le pourtour du siphon. La chute d’eau circulaire a quelque chose de fascinant. Un rideau d’écume furieuse tapisse l’intérieur du cylindre. On ne voit pas jusqu’où ça plonge. Deux corps dérivent à moins de quarante mètres du trou. Je veux hurler mais Erg les a repérés. Il en arrache un du lac à la manière d’un martin-pêcheur et le rejette cent mètres en amont de notre position. C’est Aoi ! Il fond sur l’autre corps, tétanisé, et l’emporte aussi hors de danger : Callirhoé. Une perche a ripé – celle de Steppe. Steppe, Larco et Caracole partent aussitôt dans le courant. C’est comme s’ils décramponnaient sur une pente de glace. Ils résistent de toute leur puissance physique. Ils piochent férocement dans l’eau, à une cadence de panique. Ils s’accrochent, ils reculent vers le trou… Ils tiennent – ils tiennent bon dieu – ils cèdent un peu, ils reprennent cinq mètres. Ils vont jamais s’en sortir… Soudain l’aile d’Erg plonge sur Larco, le soulève d’un piqué-relevé incroyable et le repose amont. Dans l’axe derrière nous.

— Par là Larco, viens sur nous !

 

) Il n’a plus de figure. Il a sa peur pour tout visage. De partout, les voix hachent le vacarme de la cascade, des cris incompréhensibles strient, des hurlements de tripes s’arrachent de nos gorges… Là-bas, presque au bord de la chute, debout, le courant les labourant à hauteur de poitrine, les repoussant mètre par mètre vers le trou, comme une porte un bélier, Caracole et Steppe luttent avec leurs dernières ressources d’homme pour ne pas basculer dans le vide. Apparemment, ils ont pied ! La terre et le sable aspirés ont créé comme un rebord sur les lèvres du puits gigantesque – peut-être trente mètres de diamètre. Et ils calent du mieux qu’ils peuvent leurs appuis sur ce fond meuble et merdique. Erg ne peut plus rien pour eux à cette distance du siphon, sauf à risquer sa propre vie en vrillant son aile, sucé par une pompe au fond du gouffre. Il ne les regarde d’ailleurs plus, il a choisi de nous sauver d’abord et il plante de place en place des harpons dans la vase, à l’arbalète méca, afin d’assurer de nouveaux points d’amarrage, plus fiables que nos perches qui oscillent et qui glissent.

— Allez les chercher en vous laissant glisser le long de cette corde ! Bougez ! Il y a assez de corde pour aller jusqu’à eux !

 

π Horst ne réfléchit pas. Il se détache de sa grappe et crawle en diagonale. Il attrape la corde qui flotte à la surface et s’y accroche. Il ne vérifie même pas qu’elle tient. Il prend tous les risques. Il s’en fout. Il se laisse dériver, la corde entre les doigts, jusqu’à Caracole. Steppe est trop loin même avec un pendule. Il empoigne celui qui l’a aidé à survivre, celui qui lui a promis qu’il retrouverait son frère Karst en Extrême-Amont. Celui qui l’a sauvé du suicide. Et il le jette en écharpe, telle une pièce de gibier, sur ses épaules de poutre. Il saisit la corde à deux mains et progresse à la poigne…

— Le courant est trop fort ! Il va jamais y arriver !

— Ta gueule Darbon !

Il y arrive… Horst le ramène vers l’amont sans fléchir, énorme de volonté, inexorable. Reste Steppe. Ne dépasse de lui à cette distance que ses épaules et sa tête, sa tête semée de graminées et d’herbes folles en croissance accélérée qu’Aoi lui taille chaque jour. Steppe est solide. Steppe va tenir. Il est puissant. Tout le monde est arc-bouté sur les perches. Face au siphon qui vide le lac. Sous nos poids cumulés, sous les à-coups du courant, les perches dérapent ou glissent sur le fond. Nous n’allons pas résister longtemps comme ça. Si une grappe part dans le courant, Erg ne pourra jamais tous nous sortir de la zone. Il a un mal fou à voler près de la chute. Il subit de violentes aspirations. Le vent est par ailleurs trop faible pour assurer un vol dynamique. Il perd vite de l’altitude dès qu’il prend un passager…

— Lancez-lui une corde ! Une corde pour Steppe ! crie Aoi.

— Sveziest ! Sveziest là-bas !

 

) Personne ne l’avait vu, hormis ceux de sa grappe, lesquels n’ont rien pu faire : il a glissé dans leur dos, le plus jeune de nos crocs, un battant et un teigneux, qui ne savait même pas nager avant d’entamer la traversée. L’eau n’est pas son élément, Pietro lui a appris le crawl, il se débrouille bien mais reste toutefois handicapé par son petit gabarit et la courte envergure de ses bras. Il crawle, il crawle à la limite de ses capacités, le courant me semble plus fort encore que tout à l’heure et il recule rudement, par dizaine de mètres, il se débat, il tape l’eau des pieds et des mains, affolé, inefficace, son corps dérive très rapidement vers le siphon. Il est trop tard pour lancer une corde, trop tard pour Erg qui jauge la scène d’un regard et tranche : il n’y va pas.

— Sveziest !

— Zé ! Zé !

Sa vitesse de dérive est plus élevée que celle de Steppe ou Caracole tout à l’heure. Il se retourne face au gouffre, tente un dos crawlé désespéré mais file encore, file, file – il percute le rebord du gouffre… J’ai la respiration coupée : il a réussi, oui, à se mettre debout… Il reprend pied plusieurs secondes, en équilibre, face au vide, le torrent dans le dos, des gerbes ricochent sur ses épaules… Il tente une première fois de se retourner, d’affronter le courant… Il titube… Il se met de profil en cherchant un angle de contre…

— Coupe ta corde ! Coupe ! Je ne sais pas s’il entendit mon cri. Je ne crois pas. Car c’est son flotteur, au bout de sa corde de deux mètres, qui, en raclant dans la cascade, le déséquilibra. Pendant un temps interminable, je ne voulus pas croire qu’il était tombé. J’avais formé ce croc, je l’avais toujours soutenu contre Golgoth, du tout début, dès l’instant où il avait quitté sa famille, consentante, pour nous suivre. « Gardez-le nous en vie, et qu’il soit heureux ! » Je pense qu’il a été heureux avec nous, je le pense sincèrement. Mais on n’a pas été capable de le garder en vie. On n’a pas su.

— Zé ! Il est parti, il est parti… Aoi tend un bras en direction du siphon, inutile, absurde. Elle ruisselle de larmes.

— C’est fini, petite source. Il ne reviendra plus maintenant…

 

x Erg avait fait la seule chose qu’il fallait faire : assurer une double série de points d’ancrage sur le pourtour du gouffre. La première série était répartie à soixante-dix mètres : c’est celle où nous étions accrochés. La seconde bordait le gouffre à moins de cinq mètres de l’à-pic, par sécurité. Au cas où les harpons de la première lâcheraient. Une longe de cinq mètres, terminée par un flotteur en osier, était nouée à chacun des dix harpons. Entre les flotteurs, Erg avait fait passer un cordage horizontal à ras la surface. L’ensemble définissait une sorte de rambarde flottante et circulaire à laquelle il nous avait ordonné de nous accrocher en répartissant nos masses. Poteaux et solives de la plate-forme avaient par ailleurs été arrimés sur un harpon plus en amont. Du pur Erg. Grand sang-froid.

 

Ω Si je devais me rappeler d’une caque, d’une seule, d’une solide caquée de trouille tord-bide, chiasseuse au goulet, si je devais faire le tri des lentilles, eh ben je choisirais celle-ci. Celle du siphon de Lapsane. Quand Erg a riveté ce bout de lac au harpon, comme on l’apprend à Ker Derban : fissa, recta, claro ; que tous les hordiers ont cliqueté leur harnais sur sa cordée, que ce costaud de Steppe s’est sorti à force de tractions de la zone d’adieu, j’ai cru que c’était gagné. Le gouffre allait bien finir par se remplir ou le lac par se vider, au moins par chez nous. On allait bien finir par avoir pied quelque part, avec la terre qui s’entassait devant. Fallait juste y croire. Très fort. Sauf que ça se passa pas comme ça. Pas vraiment… Pas tout à fait du tout, pour être franc.

Dès que le premier harpon à l’extrême droite a sauté, j’ai pas moufté, je vous jure. Quand les autres ont suivi dans la foulée, clof, clof, clof, clof, clof, en série, et que toute la cordée s’est dégrafée en quinze secondes, on n’a même pas eu le temps de prier le vent des siphons et des baquets de lessive – on a dévissé droit vers le gouffre, en pagayant des brandillons plutôt nerveusement dans le contreflot… Sans la cordée de secours du macaque, l’espèce de balustrade avec vue sur la mort qu’il avait capelée à cinq mètres du grand saut, les Fréoles pouvaient dépêcher un navire sur Aberlaas en disant : « La horde suivante, siouplaît ! La 35, envoyez ! » Nous autres pingouins, les vingt, je vous assure, on est venus s’empaffer dans le cordage, le trouillomètre sur moins quarante, froid polaire dans les vertèbres, sec sec. Il a fallu Erg pour nous dégeler la béquille :

— Restez pas en tas ! Décalez-vous ! Répartissez-vous sur l’ensemble du pourtour. Espacez-vous, merde, vous voulez que ces harpons aussi sautent ? Ce sol est pourri, ça s’enfonce mais ça tient pas !

 

) J’entends à peine la voix de notre combattant-protecteur. La cascade rugit devant moi, une chute torrentielle, vertigineuse. Les parois sont labourées d’écume, l’eau arrive de partout et se déverse en quantités monstrueuses dans le gouffre. J’aurais envie de lui hurler merci parce qu’il vient, avec sa terrible rigueur et sa prévoyance têtue, de nous sauver la vie, à tous. Il a sorti une aile courte, qu’il pilote des deux mains tant les vents sont vrillés. Par bonds rapides, il circule autour du gouffre en nous soulevant avec ses jambes, qui sont pour lui d’autres bras et il nous pose un par un – un léger, un lourd, un léger, un lourd – sur la circonférence du siphon. Il a récupéré nos flotteurs et vole les arrimer plus haut en amont, près des bambous – je n’aurais jamais pensé à sauver ça.

— La corde derrière le dos et sous les aisselles ! Personne ne s’attache au cordage. Si l’un de vous glisse, il embarquerait tout le monde ! Tenez-vous par la main, tous ensemble ! Faites cercle. Soufflez à fond, descendez votre rythme cardiaque ! Si quelqu’un dérape, je suis derrière, je le récupère. Calez bien vos talons ! Quand vous fatiguez, mettez-vous de profil, en contrant comme pour un furvent : le genou amont en appui, la jambe aval en étai, bras dans l’alignement du tronc !

Erg virevolte derrière nous, à un mètre au-dessus de l’eau, à peine. Il répète et répète ses consignes, si précises, de proche en proche, puisque la cascade couvre et avale tout – l’eau, le vent, le bruit. Dès qu’il passe derrière moi, je me sens mieux – et j’angoisse aussitôt qu’il s’éloigne. Il reste plus longtemps près des filles, soulage leur effort en les tenant par le harnais et en mettant sa voile en traction. Il change constamment de bord, pilote dans des conditions extrêmes, sans cesse règle et corrige sa double voile superposée, ce parapente d’élite qui l’autorise à voler vent debout et dont il baisse, ou au besoin relève, les bords de fuite et d’attaque. Il souffre mais sa voix jaillit toujours intacte et claire, ne trahissant ni l’effort ni l’effroi.

— Qu’est-ce que tu vois au fond du trou, Erg ? Qu’est-ce qu’il y a ? demande Larco avec anxiété.

— Je vois des choses que je n’ai pas envie de voir. Il vaut mieux ne pas regarder au fond.

— C’est profond ?

— Ça dépend qui regarde…

— C’est-à-dire ?

— Pour moi, ce n’est pas profond. Mais demande à Steppe ! Il a vu aussi !

Steppe est trop loin de Larco, de l’autre côté du gouffre, son herbe drue dressée sur la tête par l’angoisse. Loin de faire confiance au cordage, il ne le tient qu’à une main, tenant de l’autre celle d’Aoi, laquelle n’a que la tête qui dépasse de l’eau et les bras enroulés dans la corde.

J’ai la conscience, aiguë, de vivre sans doute mes dernières minutes d’existence. Nous sommes tous les vingt, main dans la main, reliés par une corde incertaine, le corps gondolé par le torrent, à résister au bord d’un trou central qui pourrait être la mort elle-même. Qui l’est. À ma droite, je suis heureux que ce soit Oroshi, je sens sa main chaude dans la mienne, on se parle encore, on cherche du sens, en dépit de tout – et à ma gauche l’autoursier, qui n’a d’yeux que pour son autour, perché sur son épaule, insouciant et coriace, qui fond sur le moindre ragondin piégé dans le courant, et le becque.

À côté de lui, j’essaie de mémoriser le visage mat et serpé de notre forgeron Léarch, qui s’arc-boute, puis le fauconnier droit, seul sur six mètres de corde, qui ne regarde rien ni personne. Le grand Talweg plus loin, avec sa barbe roussie et ses yeux clairs, sa main dans celle d’Alme, si épuisée qu’elle tangue à chaque poussée du courant. Suit Pietro, très conscient, sa carrure dépassant largement de l’eau, qui retient la petite Callirhoé, vacillante, par le bras. Ses flammes trempées, ses cheveux bouclés par l’humidité, elle ne tient plus que sur les nerfs. À côté d’eux, Erg a placé Steppe et Aoi, dont j’ai toujours adoré le visage enfantin et la douceur fluide et minutieuse. La voir vivante me fait du bien. Puis Firost, notre pilier massif et musculeux, Arval « la Lueur » dont l’énergie pulsée, même là, ne fléchit pas, et juste à côté, Golgoth : il se tient pile en face de moi sur le diamètre opposé. Son visage intercepte mon regard et lui répond, d’un signe de tête : « Tiens bon, Sov. » Lui a lâché carrément la corde et il se soucie uniquement que personne ne glisse, guidant Erg par geste dès qu’il sent une faiblesse quelque part !

Je mémorise tout, chaque geste, chaque attitude, chaque position et chaque visage, comme si je les voyais enfin, comme s’il n’y avait pas trente ans derrière moi à les connaître par cœur, à ne plus les regarder, à ne plus savoir les contempler dans leur beauté simple et leur noblesse.

Je passe sur Silamphre qui évite mal une branche flottante et paraît à la rupture, il avait voté contre la flaque – il aura eu raison, cette fois encore. Je glisse sur notre remorqueur Barbak, ce rectangle de viande solide, esseulé à cause de son poids, pour me fixer sur le trio Larco-Coriolis-Caracole, soudé sur deux mètres de corde. Par bribes, les intonations de Caracole rebondissent jusqu’à moi, il blague, simule une chute et se redresse, fait face au courant, improvise une corrida avec l’eau, lâche et reprend le cordage… Coriolis sourit sous son masque de terreur, Larco pare avec ses mains et il la regarde. Elle est, il est vrai, très belle.

Je termine du regard mon lent tour de cercle : Horst, solitaire, qui plaisante avec Karst pour se rassurer, lui parle sans cesse et lui répond, le fait vivre… Il a presque tout le tronc hors de l’eau, il n’a plus peur à présent, il est avec son frère et, ensemble, il sait qu’ils ne peuvent pas vraiment mourir…

Voilà. Ils sont là. Les vingt, plus Erg. Moins Sveziest, moins Karst. Et à nouveau Oroshi qui me relance, pour tromper l’angoisse :

— C’est une forme de chrone, tu sais !

— Cychrone ou psychrone ?

— Chrotale, comme la tour Fontaine !

— Il agit sur le temps ?

— Oui. Sur son écoulement.

 

x Sov me regarda brièvement, mais il ne me crut pas. Le siphon, sans qu’il s’en rende compte, bougeait. Il s’élargissait encore. Sa lèvre se déplaçait légèrement vers nous de telle sorte que les cinq mètres qui nous séparaient de l’abîme se réduisirent à quatre, puis à trois… Nous étions désormais si près du bord que j’allais enfin voir ce qui se tenait au fond… J’étais prête à ça, impatiente pour tout dire… L’appel du vide me prit au ventre…

— Reculez de quatre pas ! crie Erg. Ne regardez pas en bas ! Concentrez-vous sur votre respiration et sur vos appuis !

 

 Faut reculer, Karst !

— Vaut mieux, ouais !

— T’as vu toutes les loutres qui sont passées, Ka ?

— Ouais, j’essaie de les arrêter mais elles filent !

— Elles filent ouais !

— On essaie de les sauver ?

— Chiche ?

— On essaie ouais ?

— Ouais, retourne-toi qu’on les voit arriver !

— À deux, on peut y arriver !

— À deux, on arrive toujours… Ho !

— Regarde, r’garde !

— Un ragondin, hein !

— On le sauve, on le sauve ?

— D’accord hein !

La Horde du Contrevent
titlepage.xhtml
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_024.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_025.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_026.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_027.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_028.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_029.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_030.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_031.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_032.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_033.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_034.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_035.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_036.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_037.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_038.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_039.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_040.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_041.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_042.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_043.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_044.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_045.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_046.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_047.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_048.html
Damasio,Alain-La Horde du Contrevent(2004).French.ebook.AlexandriZ_split_049.html